De la Citadelle au château : Christophe Dufossé, un Chef bâtisseur aux fourneaux.
Après 15 années passées à défendre sa Citadelle (Metz), le Chef Christophe Dufossé fait le siège au Château de Beaulieu à Busnes. Un retour aux sources pour le nordiste qui entend faire du domaine un écosystème de prestige.
Rencontre
Quel effet ça fait de succéder à celui que beaucoup considèrent comme le plus grand Chef des Hauts-de-France ?
C’est un honneur. Si je devais employer une image, je dirais que Marc Meurin, c’est le Paul Bocuse du Nord : quarante-sept ans de carrière, vingt ans de deux étoiles, un professionnalisme à toute épreuve et une générosité sans faille. Quant au site, il est tout simplement magique. Marc souhaitait une succession constructive. Nous sommes amis de longue date, partageons les mêmes valeurs.
Vous vous qualifiez de bâtisseur. Quel est votre objectif ici ?
Rendre cet écrin encore plus exceptionnel en allant chercher les Japonais, les Russes, les Chinois, les Américains et les Brésiliens. J’ai pris la décision de valoriser les deux étoiles au-delà de l’assiette.
C’est-à-dire ?
En modifiant l’existant et en concevant de nouveaux espaces. Nous avons d’ores et déjà créé un bar cosy en lieu et place de l’ancien salon. Nous allons agrandir la véranda du restaurant gastronomique, refaire les cuisines. Les nouveautés porteront surtout sur les services. Nous allons intégrer quatre suites supplémentaires et surtout un espace détente de 600 m² comportant notamment un Spa, un couloir de nage et une salle de soins.
Vous prônez le circuit-court ?
Je revendique mon attachement au terroir. Je compte travailler avec une vingtaine de fournisseurs locaux. Les œufs de Paradis-Lestrem, le pigeon de Steenvoorde, les courges de Mont-Bernanchon et les échalotes de Busnes bien sûr.
Tout comme le pain que vous faites ici même
Ainsi que nos glaces et nos pâtisseries. J’ai toujours été sensible à la notion d’écosystème. Je souhaite faire du Château de Beaulieu un laboratoire du bon sens. Pourquoi importer de la volaille de Bresse alors que Licques est à deux pas ? Dans cette logique, on va réaliser un jardin expérimental où pousseront des légumes ainsi que des fleurs comestibles. On va aussi disposer d’un verger de pommes et de poires et d’une serre avec des fraises. Tout ça va se retrouver dans les assiettes.
Peut-être dans la fameuse Salle à manger attenante au restaurant gastronomique ?
Certainement. Le concept est simple : quarante-huit heures avant la date du repas, j’envoie une liste de vingt produits aux clients concernés. Ils en choisissent douze et peuvent même suggérer deux éléments supplémentaires. Le jour J, le repas est une surprise en continu. Mais aussi un moment de partage. Je prends l’apéritif avec eux, un plat sur deux est cuisiné en live sans esbroufe.
Il paraît que vous êtes un mélange de simplicité et de rigueur ?
Un mix du Nord et de l’Alsace. Je suis comme Lucienne, ma grand-mère maternelle. Elle cuisinait des choses simples mais il ne fallait pas la perturber quand elle préparait sa tarte aux myrtilles !
A Metz d’où vous venez, la simplicité des autres vous a parfois pris de court.
Un jour, Dany Boon déboule dans les cuisines du Magasin aux Vivres (rebaptisée plus tard « La Table ») en lançant avec un accent bien appuyé : « Alors les biloutes, y paraît qu’c’est un Ch’ti aux commandes ? » D’un coup, j’étais dans le Nord. On s’est serrés dans les bras, sans chichi, on ne se connaissait pas. Alors oui, la simplicité m’impressionne. Surtout quand elle vient de célébrités comme Eddy Mitchell. Une autre fois, toujours à Metz, un de mes fils tombe nez à nez avec Johnny Depp. Il me dit : « Papa, c’est Jack Sparrow !!! » avant de courir en trombe vers lui. La star a joué le jeu à fond. En toute simplicité.
Est-ce aussi cet état d’esprit qui a plu aux Chinois de Chengdu ?
En partie oui. Quand j’ai ouvert mon resto à l’autre bout du monde avec Jean-Pierre Raffarin comme parrain, ça m’a donné une légitimité qu’une étoile ne vous apporte pas forcément. Là-bas, je suis fier de représenter mon pays en servant Barack Obama ou Angela Merkel. La vie est décidément pleine de surprises.
D’ailleurs, si vous n’aviez pas changé de trajectoire, cette conversation aurait pu se tenir au stade Bollaert de Lens…
Et dans ce cas, elle aurait pris la forme d’une conférence de presse. Jusqu’à mes 16 ans, je voulais être footballeur professionnel. Quand j’ai annoncé le virage à 90°, j’ai été soutenu. Et ce malgré un historique familial qui ne plaidait pas en ma faveur. Toutes mes tantes travaillent dans la dentelle de Calais et tous mes oncles sont dans la sidérurgie. Mais ils ont compris ma détermination, ma passion, mes différences.
Une discipline que vous vous auto-administrez avec vos deux garçons…
Quand il m’a dit vouloir être serveur, Marc-Antoine, mon aîné, a ajouté : « Comme ça, je te verrai plus souvent » C’était très émouvant. Aujourd’hui il travaille avec moi, sans passe-droit. Paul-Henry, le second, veut quant à lui être chanteur. Il sort tout juste de ses cinq ans de cours Florent à Paris. C’est un artiste dans l’âme. Je suis très fier d’eux et les soutiendrai jusqu’au bout.
Dates clés
20 août 1968 : naissance à Calais
1975 : déménage à Mulhouse
1984-86 : École hôtelière de Guebwiller (Alsace)
1990 : aux côtés d’Alain Ducasse au Louis XV (Monaco)
1991 : aux côtés d’Arnaud Poëtte à l’Eden Roc (Cap d’Antibes, Var)
1999 : décroche une étoile au Guide Michelin au Royal Champagne (Champillon, Marne)
2002 : obtient une étoile au Guide Michelin au domaine du Roncemay (Chassy, Yonne)
2006 : obtient une étoile au Guide Michelin au Magasin aux vivres (Metz, Lorraine)
2009 : ouvre le Jin Yue, by Christophe Dufossé à Chengdu (Province du Sichuan, Chine).
2021 : rachète le Château de Beaulieu (Busnes)
La Recette du Chef
En plus d’un accueil extrêmement chaleureux, Christophe Dufossé a eu la gentillesse de nous partager une recette à faire chez soi. Idéal pour les fêtes !